La tradition comme outil de lutte contre la pauvreté et le chômage

 

Par M.A. Boussery

Depuis des siècles, les griots et les artisans constituaient en Mauritanie deux groupes sociaux vivant en castes fermées. Indispensables à leur société, ils  gagnaient leur vie en perpétuant la tradition et le savoir-faire, transmis de pères en fils. Ils ont conservé, ainsi, un héritage socioculturel riche et diversifié.

Les artisans (forgerons, cordonniers, tisserands, etc.) fabriquaient des objets d’art et des outils utilitaires indispensables à la vie quotidienne de leurs communautés.

Les griots sillonnaient la région avec leurs instruments de musique offrant chansons et poèmes aux publics dans toutes les cérémonies sociales.  Dépositaires de la tradition orale et dotés d’une grande puissance mobilisatrice, ils constituaient de véritables media.  Les griots étaient très liés à la cour émirale, assistaient  aux batailles, servaient de mémoire épique, animaient les foules et créaient des valeurs.

Un troisième groupe apparenté aux musiciens, les Meddaha (laudateurs),  nombreux parmi les descendants d’anciens esclaves, organisaient des soirées et donnaient des spectacles à l’occasion des fêtes et des mariages.

La Mauritanie, appelée aussi «le pays d’un million de poètes», disposait et dispose encore d’un riche patrimoine culturel.

Avec les mutations sociales, l’industrialisation, les effets de mode et la diversité des courants de musique moderne, ce patrimoine dont  la diversité culturelle fonde l’identité nationale, est aujourd’hui, en perte de vitesse. Les efforts nationaux de valorisation de la culture n’ont pas, jusqu’ici, permis d’exploiter les ressources culturelles comme instrument de lutte contre la pauvreté.

Dans ces conditions, les détenteurs de ce legs culturel  dévalorisé au fil du temps se sont trouvés défavorisés et appauvris. Ils ont  commencé à s’en détourner à la recherche d’autres créneaux porteurs mais souvent vers le chômage et son corollaire la pauvreté. 

Pour  aider, à la fois, à l’amélioration des conditions de vie des artisans et des musiciens traditionnels et à la conservation du patrimoine culturel, le F-OMD est intervenu au bon moment à travers la création de ligne de crédits et d’activités génératrices de revenus visant la rentabilisation des ressources culturelles, l’autonomisation des femmes et la réduction du chômage et de la pauvreté chez les jeunes artisans et griots.

Créant des synergies entre 3 départements ministériels (culture, artisanat et tourisme), 3 agences du SNU (UNESCO, FNUAP, PNUD) et plusieurs ONG, le F-OMD a identifié des activités ayant des retombées directes sur les conditions de vie des populations et de nature à valoriser le patrimoine culturel comme outil de lutte contre la pauvreté et le chômage. 

Dans le secteur de l’artisanat, une gamme de produits et de services culturels rentables (coffrets, bracelets, colliers, tapis, etc.) a été identifiée et vulgarisée.  Un volet microcrédit a permis à 214 artisans dont 127  femmes de créer autant d’AGR. Les taux de recouvrement des prêts étant très encourageant (plus de 95%), une seconde ligne de crédit de plus de 40 millions d’Ouguiyas vient d’être ouverte pour financer des micro-entreprises portées par des jeunes artisans et griots.

 «Nos traditions culturelles ont ouvert des opportunités d’emploi à beaucoup de jeunes chômeurs devenus cordonniers, tisserands, teinturières, couturières, etc.» se félicite Eya Mint Sidi Mohamed, une jeune artisane de kiffa. «Nous sommes un grand nombre d’artisans jeunes et moins jeunes à avoir obtenu des prêts pour créer des petites affaires et assurer une vie décente à nos familles. Ainsi, nous avons pu rentabiliser de vieux métiers traditionnels en voie de disparition par ce qu’ils ne rapportaient plus d’argent».

Moi, reprend Eya, « j’ai acheté du matériel,  des pelotes de laines de différentes couleurs et des bobines de fils. J’ai tissé de très beaux tapis décorés de motifs authentiques… Le tapis artisanal mauritanien est plus résistant et plus cher que tout autre tapis industriel. Il est utilisé dans les bureaux, les salons et les hôtels. Décoratif et apprécié par les mauritaniens et les touristes, il est bien vendu sur le marché. Ce métier, dont je suis fière, me permettra de préserver le patrimoine artistique mauritanien tout  en assurant un important revenu».

Penché tendrement sur son enclume dans la pose d’une mère qui cajole son bébé,  Moctar Ould  Bou Legdam, un jeune artisan de l’Assaba arrondit avec dextérité une arcade d’arçon, tout en expriment son ravissement : «avec ce prêt,  je suis très heureux de pouvoir concilier ma vie et mes rêves en rentabilisant l’atelier familial que mon jeune frère et moi-même avions abandonné après le décès de notre père…».  

Plein de fierté et de misère discrète, mais singulièrement calme et sûr de lui-même, cet artiste méticuleux et fervent,  évoque sa passion sincère pour le métier : «avec les différents objets industriels qui ont inondé le marché, l’artisanat exercé dans l’austérité ne garantit plus un revenu suffisant pour subvenir aux besoins d’un ménage. Comme je n’avais pas les moyens de développer ce métier ancestral que j’aime beaucoup, j’ai failli m’en détourner. Aujourd’hui, je suis fier de pouvoir joindre l’utile à l’agréable…».

Par ailleurs, le F-OMD a organisé en février 2010 avec la collaboration des ministères concernés et des associations de jeunes, des festivals culturels pour valoriser le patrimoine musical et améliorer les conditions de vie des musiciens traditionnels défavorisés. Tous les participants ont bénéficié d’un appui financier et les lauréats ont remporté des prix d’un montant d’un million d’Ouguiyas.

Ces activités ont eu immédiatement des effets indirects favorisant la promotion de la musique traditionnelle. Les différents festivals retransmis à la télévision (TVM), ont été suivis et appréciés par un grand public. Ils ont fait des émules et suscité l’appétit d’investisseurs privés qui ne cessent, depuis, de solliciter les services de jeunes griots et  Meddahas redevenus de véritables animateurs de cérémonies.

Ainsi, des opérateurs économiques, ayant constaté l’engouement du public au cours de ces festivals et leur grande audience chez les téléspectateurs, ont organisé au cours de l’année 2010, en partenariat avec TVM et les grands annonceurs, plusieurs manifestations culturelles similaires : «la Voix d’Or» et «El Meddah», etc. Les lauréats ont gagnés des prix de plus de 10 millions d’Ouguiyas.

En raison de leur grand succès, ses manifestations ont tendance à se perpétuer. Leur édition 2011 a connu d’autres nouvelles compétitions musicales et artistiques ; «Sawt Al Watan», «Mauri-Stars», etc. La troisième est en cours de préparation.  Le festival national de la diversité culturelle, que Nouakchott a abrité en 2011, a eu un succès éclatant. Le ministère de la culture s’est engagé à pérenniser cette manifestation d’envergure nationale.

Au niveau des 13 régions du pays et de certains départements, les collectivités locales ont pris l’initiative d’autofinancer l’organisation de festivals  culturels régionaux et locaux. La deuxième édition du festival des villes anciennes a été organisée dans la cité historique de Ouadane en février 2012.

D’autre part et en vue d’appuyer le tourisme culturel comme moteur de croissance économique, le F-OMD a fait profiter des opérateurs touristiques de sa ligne de crédit. Il s’agit d’un premier groupe d’auberges dont la majorité est gérée par des femmes.

Mlle Khiré Mint El Ghawth, une jeune propriétaire d’auberge à Wad Oum Elkhez (80km de Kiffa) s’en félicite : «Ce prêt a amélioré les services d’accueil et d’hébergement de mon site touristique. Il contribuera, sans doute, à la promotion de l’image de mon auberge et à la  valorisation du patrimoine culturel mauritanien à travers l’achat des produits artisanaux par les touristes de passage et l’organisation de soirées musicales animées par des griots ou des Meddahas dans notre restaurant».

 

Share |